Jeudi 8 mars de 18 heures 15 à 19 h 45 Logis des Jeunes rue Mimont

Première réunion avec Eve Depardieu

Académie Clémentine : Rencontres-ϕ 2018

 » Devons-nous repenser notre rapport à la nature ? « 

Nous vous invitons à nous interroger et à débattre sur le thème des relations Homme-Nature.

Quelques questions comme points de départ de notre réflexion :

– Avons-nous vraiment changé de regard sur la nature, évolué dans nos façons de la concevoir personnellement et collectivement, en les comparant aux idées que s’en faisaient nos ancêtres, des plus lointains aux plus proches ?

– De fait, nous avons besoin de la nature pour exister, vivre et survivre, mais elle, a-t-elle besoin de nous ?

– Comment devons-nous la traiter : en sujet ou en objet, sujet de droit, personne morale, ou objet d’exploitation, de jouissance, d’utilisation tous azimuts ?

– Proverbe à méditer et commenter (faussement attribué à St Exupéry, supposé d’origine indienne ou amérindienne ou africaine…) :

 » Nous n’héritons pas de la terre de nos ancêtres, nous l’empruntons à nos enfants »

  • 2 rendez-vous : le 08 mars 2018 et le 17 juin 18, de 18 h15 à 19 h 45
  • Cannes, au Foyer Mimont, salle Polanski, 5 rue Mimont, 06400

Compte rendu de cette réunion :

ACADEMIE CLEMENTINE

 « Les rapports homme-nature »

1ère rencontre du 08/03/18 animée par Eve Depardieu

2ème rencontre prévue le 17/05/18

 

Proverbe à méditer tout au long de la réflexion (attribué à St Exupéry mais supposé d’origine indienne ou amérindienne ou africaine…) :

      » Nous n’héritons pas de la terre de nos ancêtres, nous l’empruntons à nos enfants »

Comme point de départ nous nous demanderons si nous avons changé de regard sur la nature, évolué dans nos façons de la concevoir personnellement et collectivement, comparées aux idées que s’en faisaient nos ancêtres, des plus lointains aux plus proches.

Il semble difficile de nier l’évolution de nos idées et de toutes les représentations que nous nous faisons de la nature, en refusant de tenir compte des découvertes et de l’avancée des connaissances en « sciences de la vie et de la terre » (nouvelle appellation des « science naturelles »), en astronomie, en physique, en chimie et en biologie. A quoi s’ajoute aujourd’hui les sciences de l’environnement, particulièrement l’écologie avec l’étude des interrelations entre les écosystèmes confrontés à l’impact de plus en plus massif et prégnant des activités humaines…

Rappelons-nous la révolution spirituelle que décrit en 1957 Alexandre KOYRE (1892-1964) dans son livre « Du monde clos à l’univers infini  » : il montre comment on est passé de la vision géocentrique des Grecs, à la vision anthropocentrique du Moyen Age, puis à la vision décentrée et à l’infinitisation de l’univers qui caractérise les représentations modernes du monde. Il nous parle d’un processus profond et grave par lequel « l’homme a perdu sa place dans le monde, ou plus exactement peut-être, a perdu le monde même qui formait le cadre de son existence et l’objet de son savoir, et a dû transformer et remplacer non seulement ses conceptions fondamentales mais jusqu’aux structures mêmes de sa pensée« .

C’est la fin de la vision de notre environnement et de nos cadres de vie comme un tout bien structuré et bien ordonné, exploitable à merci par « l’homo faber », génial mécanicien et polytechnicien, bien décrit par BERGSON (1859-1941), et le début de la vision déstabilisante et indéfinie (y compris et d’abord en mathématiques) d’un univers macro et microscopique sans borne, en mouvement perpétuel, et même en expansion. « la bulle du monde a commencé par enfler et s’élargir avant d’éclater et se perdre dans l’espace dans lequel elle était plongée ». Id. A Koyré

De ce fait, notre regard sur notre environnement, et particulièrement sur les espaces naturels, a changé et continue à évoluer, mais en quel sens ?

Nous sommes confrontés à un paradoxe d’une grande complexité : plus on étudie et découvre les structures et les propriétés naturelles de la matière tant inorganique qu’organique et vivante, plus les repères stables et rassurants se dissolvent et se perdent dans l’infini de l’espace et du temps, dans des interactions complexes d’apparence souvent chaotique, entre les phénomènes corpusculaires visibles et les phénomènes ondulatoires invisibles. Notre rapport à l’environnement naturel peut à tout instant être bouleversé par l’interférence des forces et phénomènes cosmiques.

Pourtant un ordre des choses se révèle, et l’énoncé de « lois » de la nature, semblent absolument nécessaire à l’organisation de la vie et à notre compréhension des phénomènes d’une complexité croissante, tout en gardant à l’esprit qu’il existe un fond de désordre, ou, du moins, d’incompréhension et d’ignorance de notre part sur le sens global de l’existence matérielle des êtres et des choses. Pourtant nos constats, nos calculs même statistiques, nos grilles de lecture, nos graphes fonctionnent et sont même évolutifs, adaptables aux innombrables métamorphoses et mutations des matières. Mais jusqu’où pouvons-nous encore aller sans nous fourvoyer ?

Peut-on dire que la nature n’existe que tant que l’on continue à la penser ? Elle a pourtant bel et bien existé avant qu’un être pensant n’émerge à sa surface. Comme le rappelle Hubert REEVES, « pendant près de quatre milliards d’années, il n’y avait pas d’homme. Le couple homme-nature est un évènement récent », un couple qui risque de ne pas durer longtemps, peut-être victime de sa propre ingénierie, de ses capacités techniques, polluant et épuisant toutes les ressources, refusant de reconnaître que la planète Terre n’a pas un volume, ni des réserves infinies…

Nous sommes partie prenante de la nature, c’est le moins qu’on puisse dire, mais nous nous heurtons à son ambivalence : elle est à la fois vitale et mortelle, autant un monde de la prédation organisée, effrénée et féroce (manger et être mangé, la vie des uns dépendant de la mort des autres), qu’un déploiement de dons et de merveilles, d’exemple d’ingéniosité, de créativité, de fécondité et de luxuriance. Les relations homme-nature sont de perpétuels rapports de force où il s’agit, pour les hommes, d’être dominants pour ne pas disparaître, mais aussi de se responsabiliser et de canaliser leur puissance d’agir en lui rendant plutôt don pour don que coup pour coup ! Nous devons en urgence repenser et rétablir une alliance, sachant que la nature est considérablement plus forte que nous et que nous avons besoin d’elle pour survivre, alors qu’elle a déjà bien su agir et évoluer sans nous.

Malgré nos tentatives opiniâtres de dépassement pour éradiquer le naturel en nous (supposé frustre, grossier, violent), il est néanmoins difficile de s’en débarrasser si l’on tient compte de tout ce que désigne et recouvre le vocable « nature » :

  • Les forces (gravitation, électromagnétisme, radioactivité avec interactions fortes et faibles) et les lois physiques, géologiques, tectoniques, météorologiques, biologiques, qui combinent les états liquides, gazeux, solides, ignés, rayonnants qui produisent l’univers, animent les écosystèmes et génèrent des phénomènes épisodiques (glaciations, réchauffements, cycles géologiques, tremblements de terre, tsunami…),
  • Le monde minéral, en surface, sous-marin, et en profondeur dans les entrailles de la terre, mais aussi dans le ciel, sur les autres planètes et dans ce que l’on peut connaître de solide dans les galaxies lointaines,
  • Les groupes et individus terrestres d’espèces animales et végétales (sauvages, domesticables),
  • Les milieux de vie qui abritent les individus et groupes, humains et non humains,
  • Les écosystèmes produits par la coexistence des différentes espèces humaines et non humaines, tributaires de leurs interférences et échanges.

                           « Le monde naturel est fondamentalement un champ de phénomènes émergeant-et-passant, une myriade d’évènements interactionnels se déployant et mourant » Andy FISHER (Psychothérapeute et écopsychologue). Autrement dit, un processus émergeant échappant à toute emprise, ayant sa dynamique propre, fortement évolutif et transformable, capable de se produire par soi-même, en dépit des modifications et tentatives de contrôle qui sont le fait de l’homme.

Par ces mots, Andy Fisher définit le sujet de l’écopsychologie : la relation homme-nature. Comme toute relation, elle nécessite une démarche dialogique, en ce sens qu’il est nécessaire de prendre en compte deux éléments disjoints, opposés et complémentaires : l’humain et le naturel.            Par ailleurs, la relation homme-nature implique une double orientation en raison des deux versants, la nature à l’extérieur de soi et la nature à l’intérieur de soi, en sachant que l’une et l’autre interfèrent constamment et se fécondent mutuellement.  » La matière subjective de l’écopsychologie n’est ni l’humain, ni le naturel, mais l’expérience vécue de l’interrelation entre les deux, que la “nature” en question soit humaine ou non-humaine. « .

Cependant nous ne sommes conscients de cette expérience vécue qu’au travers de nos perceptions (cf. les travaux du philosophe M MERLEAU PONTY, 1908-1961) et de nos multiples représentations, influencées par nos connaissances et notre milieu culturel. Par exemple, à propos du chêne, Francis HALLE (botaniste) interroge : « Qu’est-il, ce grand Chêne ? Pour le géographe, une marque paysagère, témoin d’ancestrales pratiques agricoles ; pour le forestier, un cylindre de bois « noble » susceptible d’être abattu, débité puis vendu à un prix intéressant. L’informaticien y verra un défi pour la simulation graphique et se mettra à la recherche des algorithmes les plus significatifs. Êtes-vous porté vers la mystique ? Alors ce Chêne devient un trait d’union entre le ciel, le monde des hommes et la Terre, un symbole cosmique donnant accès à l’universel ; une approche naturaliste y verra plutôt, affublée d’un nom latin, une forme de vie remarquable par sa longévité et l’ampleur de ses surfaces d’échange. Motif urbain ? Source de glands pour nourrir les porcs ? Simple tâche d’ombre pour le marcheur de l’été ? Pas du tout, dit l’adepte des médecines douces, dans cet arbre circule un flux d’énergie tellurique : adossez-vous à son tronc et vos douleurs lombaires vont s’apaiser. Vous n’y êtes pas, dit le philosophe, ce Chêne est avant tout la matérialisation de l’écoulement du temps, à la fois mémoire naturelle et supports de mémoire culturelle, il est le principe même de la civilisation. »

Nous possédons actuellement de nombreux outils intellectuels pour appréhender nos différentes visions de nos relations avec la nature. Ainsi, Nicole HUYBENS, psychosociologue, qui a mis ses pas dans ceux d’Edgar MORIN, se sert de la pensée complexe pour aborder la relation Homme-Nature. Dans l’ouvrage issu de sa thèse, La forêt boréale, l’éco-conseil et la pensée complexe. Comprendre les humains et leurs natures pour agir dans la complexité, elle distingue quatre représentations possibles : « une vision anthropocentrique, une vision biocentrique, une vision écocentrique et une vision multicentrique. » Le centre étant le point, l’élément où convergent et d’où rayonnent les forces, les éléments dispersés. Toutes les décisions seront évaluées à l’aune de celui-ci.

  1. L’anthropocentrisme : quand l’homme est le centre, l’unité de mesure
    Selon la vision anthropocentrique, celle de notre monde occidental, l’être humain se considère comme séparé de la nature. « L’humain est séparé de la nature, différent d’elle, il est rationnel et libre de construire son destin, il possède la capacité de produire des connaissances et l’éthique qui font défaut à la nature. Dans cette vision, l’humain justifie l’énigme de son existence par la valorisation d’une ou de plusieurs de ses caractéristiques propres : sa liberté, son éthique, sa rationalité et ses sentiments. Il est alors en droit de dominer la nature, de s’en servir comme un propriétaire, sans rituel, sans besoin de réciprocité, sans donner à la nature un caractère sacré». Porté par un élan prométhéen (du nom du héros qui vola le secret du feu aux dieux de l’Olympe afin d’en faire profiter les humains), l’homme se place en position de domination vis-à-vis de la nature. Pour Nicole Huybens, la vision anthropocentrique se décline en réalité selon deux orientations très différentes : l’exploitation pure et simple de la nature ou bien son gardiennage.
  2. Le biocentrisme : quand la vie est le centre à partir duquel se prennent les décisions
    La vision biocentrique apparaît en contre-point de l’anthropocentrisme. « Le biocentrisme se caractérise par l’abandon radical de la perspective anthropocentrique… où l’être humain apparaît comme l’achèvement de la création. » : la nature est sacralisée car toute vie appelle le respect. Chaque être vivant, quel qu’il soit, humain ou non-humain, possède en soi une valeur intrinsèque qui demande d’être prise en considération. Il est un organisme, destiné à s’accomplir, selon ses propres voies, et, en cela, il mérite d’être considéré et protégé autant qu’un autre. Le biocentrisme, nous dit Nicole Huybens, est sous-tendu par une tendance, appelée « primitivisme », qui s’inspire du mythe de l’âge d’or. Depuis ces temps idylliques, la situation a malheureusement dégénéré, la décadence s’est installée et l’essor de la civilisation, avec ses techniques, ses conquêtes, ses actions arrogantes et son lot de chagrins et d’angoisses, a commencé. Cette évolution est responsable de l’état de dégradation qui affecte notre planète aujourd’hui. L’écologie profonde, développée par le philosophe Arne NAESS, proche de la conception biocentrique, invite à un renversement de la perspective anthropocentrée, l’homme ne se situant plus au sommet de la hiérarchie du vivant, mais s’inscrivant au contraire dans l’écosphère en tant que partie du tout.
  3. L’écocentrisme : quand le système est le centre à partir duquel s’évaluent les décisions
    S’il remet en cause l’anthropocentrisme, le biocentrisme reste cependant tributaire d’une approche individualiste qui n’attribue de réalité qu’aux organismes isolés en négligeant leur intégration dans leur milieu de vie. Or la protection de la biodiversité s’intéresse surtout à des entités supra-individuelles, les espèces et les écosystèmes. L’écocentrisme propose une approche plus large afin d’inclure ces entités globales : les espèces, les communautés d’êtres vivants, les écosystèmes. Elles ont une valeur intrinsèque car elles sont une matrice pour les organismes. Dans une interview, Philippe DESCOLA déclarait : « Nous aurons accompli un grand pas le jour où nous donnerons des droits non plus seulement aux humains mais à des écosystèmes, c’est-à-dire à des collectifs incluant humains et non-humains, donc à des rapports et plus seulement à des êtres. »

La protection de la biodiversité devient dès lors un enjeu majeur car si une espèce disparaît, c’est tout l’écosystème qui se déséquilibre et cela rejaillit sur les autres espèces, y compris sur nous-mêmes, les hommes. Il nous faut donc favoriser un partenariat avec l’ensemble de la communauté biotique qui exclue toute tendance à privilégier les seuls intérêts humains. Pour Nicole Huybens, l’écocentrisme est une vision romantique en opposition à l’attitude prométhéenne rationnelle et utilitariste, et relève de l’attitude orphique, du nom du héros et poète grec, fils de la muse Calliopé (poésie), qui, par son chant et les accents de sa lyre, charmait les animaux sauvages et parvenait même à émouvoir les végétaux et les éléments inanimés. Sur le plan pratique une telle protection de la nature demande des connaissances complexes et donc la mise en place d’une éducation du public. L’écologie pourrait, par exemple, être enseignée dans le secondaire par des experts en écosystémique, afin que chacun se trouve informé des lois de la nature et comprenne les conséquences de ses actions sur l’environnement.

  1. Le multicentrisme : quand le centre est dans la coordination: il s’agit d’aller plus loin encore en proposant une vision multicentrique qui intègre « des antagonismes et des contradictions dans un cadre qui permet d’envisager leur complémentarité ». Il s’agit de dépasser certains paradoxes :
    – Les lois de la nature sont appréhendées et comprises en dehors de la présence de l’homme et pourtant celui-ci est inséré dans cette nature, et donc forcément mêlé à ce qui arrive en sa présence.
    – Par ailleurs, les écosystèmes ne sont pas stables. Faut-il préserver à tout prix leur intégrité, au risque de contrevenir au processus naturel d’évolution ? Si l’on veut conserver les écosystèmes tels qu’ils sont, ne risque-t-on pas de faire obstacle à la dynamique de changement, lente et puissante, de la nature ? – Enfin, la nature est autant « barbare » que « bienveillante » et les lois de la nature ne sont pas forcément toutes bonnes à suivre. Dans la vision multicentrique, l’altérité des écosystèmes, des systèmes et des individus qui les composent est reconnue en tant que telle. La mise en pratique de cette vision n’est pas aisée. Elle repose sur la maturité des individus, leur capacité de dialogue, de compréhension de l’autre, de mise à plat des situations problématiques plutôt qu’à un recours à des solutions rapides. Si nous voulons éviter les cataclysmes, il nous faut donc mettre en œuvre des mesures favorisant le développement vers la maturité de chaque individu, favorisant également le changement de nos paradigmes au niveau de la communauté ainsi que le fonctionnement de nos institutions.

 

…/… suite de la discussion lors de la prochaine rencontre le jeudi 17/05/18